Requiem pour LES cerfs ?

Il ne s’agit plus d’abattre un cerf dans un cimetière  urbain (voir mon article à ce propos) mais ceux de la Versoix, 10 sur 40 soit un quart de la population, une mesure jamais encore prise à Genève depuis 1974, date de la votation qui a fait de notre canton, le seul où la chasse est interdite. Il n’y a pas de hardes dans les autres forêts du canton de Genève.

Pourquoi je m’oppose à l’abattage des cerfs de la forêt de Versoix

Avant toute prise de décision, la question fondamentale qu’il faut se poser est : Cette décision va-t-elle aggraver le problème, le résoudre ou ne rien changer ?

Le problème tel qu’exposé par l’Etat :

  • Les cerfs mangent les jeunes pousses et empêchent la forêt de se régénérer
  • Les cerfs obligent à poser des exclos pour protéger les jeunes pousses de chêne (800 posés à 1000 CHF/pièce)
  • Les cerfs abroutissent les essences forestières de lisière.

La décision d’abattre une dizaine de cerfs par an est motivée pour « maintenir les effectifs à un niveau permettant la régénération naturelle de la forêt sans protection physique de celle-ci. ».

Selon les réponses apportées par le personnel de l’Etat, cette décision ne va rien changer au problème. Les cerfs

  • Mangeront toujours les jeunes pousses de chênes
  • Les exclos ne seront pas ôtés
  • Les clôtures resteront autour des cultures
  • La forêt n’est pas menacée, seule la gestion et l’exploitation sylvicole choisie pourrait être compromise.
  • Les corridors biologiques ne seront pas améliorés. Ils sont pourtant la priorité no 1.

Corridors biologiques

Le suivi très précis des cerfs de Versoix, réalisé par l’hepia, a mis en évidence, que

  • seuls les mâles se déplaçaient de la plaine vers le Jura
  • un seul corridor de déplacement était utilisé (sur les 23 théoriques)
  • les femelles restaient en plaine,
  • l’espace vital en plaine diminuait du fait des clôtures

L’examen fin des conditions sur le terrain a mis en évidence deux facteurs bloquant le déplacement du cerf :

  • La présence de barrières anciennes et inutiles du côté français qui empêchaient l’utilisation des deux autres couloirs et pour l’un d’eux, la trop grande rareté de réseaux de haies arborées pour garantir un déplacement sûr et à l’abri de la pollution lumineuse.
  • La présence de barrières récentes du côté français comme genevois. Ces barrières « enclos » étant posées soit pour protéger les chevaux, soit les bisons, soit la forêt, soit les cultures.

Si l’on veut favoriser le déplacement des cerfs et éviter leur concentration, il est donc urgent de rendre les corridors biologiques existants utilisables. Il faudrait aussi créer des couloirs de déplacement entre tous ces « enclos », supprimer complètement les barrières récentes et surtout les anciennes qui ne servent plus.

Effectifs acceptable de cerfs : on ne les connait pas vraiment !  Le nombre acceptable théorique est de 3 cerfs/km2. Les bois de Versoix couvrant une surface de 5,53 km2, seuls 16,5 cerfs seraient donc « acceptables ».  Selon moi, les calculs du nombre acceptable doivent être faits sur la population résidente de cerfs. Selon les réponses apportées, elle pourrait se situer entre une vingtaine et une septantaine d’individus. Aucun chiffre certain n’a pu nous être communiqué et donc il est difficile de s’y référer. Un tir sur une population fluctuante ne peut pas influencer cette population. On ne peut pas se déterminer sur un nombre d’individus calculés pendant la période de chasse en France et dans le canton de Vaud qui par définition est fluctuant. Partant de ce constat et du fait, accepté en votation populaire en 1974 que Genève est un canton sans chasse, aucun tir ne peut avoir lieu durant la période de chasse des régions voisines. Il est donc important de poursuivre les comptages sur quelques années pour constater si la population résidente est stable ou en augmentation et si c’est cette population résidente qui provoque les dégâts ou si ce sont ceux qui viennent se réfugier  dans notre canton durant la période de chasse. Tirer le cerf en 2021 est donc une décision prématurée.

A propos du chêne. Son importance pour la biodiversité est indéniable. Ce sont les chênes centenaires qui contribuent à la biodiversité. Ils ne sont pas menacés par le cerf. Le cerf mange les jeunes pousses pas les arbres centenaires. Il suffit de laisser sur pied les arbres centenaires plus longtemps pour compenser la régénération plus lente des chênes du fait de l’abroutissement.

Ne pourrait-on remettre en question les principes de la gestion forestière ? Cette gestion a été remise en question plusieurs fois au cours des 50 dernières années.  La gestion actuelle de traitement de la forêt en futaie irrégulière est très récente, c’est bien la preuve qu’elle évolue. A l’heure des changements climatiques et de l’effondrement de la biodiversité, il est urgentissime de prendre maintenant les mesures qui s’imposent maintenant. En abattant le chêne qui a 100 ans, on prive la biodiversité d’un arbre qui lui est vital aujourd’hui. et on se prive d’un puit de carbone qui fonctionne efficacement Il faudra attendre au moins 90 ans pour que le petit chêne dans l’exclos remplisse des fonctions comparables. La biodiversité s’effondre et les changements climatiques nous affectent aujourd’hui du fait d’un C02 en augmentation constante. La logique voudrait qu’aujourd’hui on préserve les chênes de plus de 100 ans  au lieu de les transformer en pellets (eh oui 80% de ces chênes centenaires partent fumée) et non pas celui de 10 ans par un exclos coûteux. La gestion sylvicole et notamment l’exploitation forestière peut et doit être remise en question quitte à la réévaluer à nouveau d’ici quelques années.

Pour un surplus de réflexion, je vous renvoie à l’annexe relative aux chevreuils, et issues du livre l’Homme chevreuil de Geoffroy Delorme.

A propos des essences présentes en lisière (érable champêtre, cornouiller, troène, sorbiers, etc.). Ils sont indispensables pour la biodiversité. Ces espèces typiques des lisières sont aussi typique des haies. On les choisit pour les haies car ils supportent parfaitement la taille, cette taille ne modifie en rien leur intérêt pour la biodiversité. Au contraire, le recépage et la taille les renforce. Les ongulés en mangeant notamment les bourgeons apicaux, ne font rien d’autre que de les « tailler » comme nous le ferions de toute façon.

Affecter une partie de la forêt au cerf et faciliter son observation. La législation fédérale permet la création de réserves forestières sans imposer de limites aux cantons. L’objectif fixé dans le plan d’action Biodiversité est d’atteindre un quart de la superficie forestière. La décision populaire de faire de Genève un canton sans chasse va parfaitement dans le sens de protéger la faune. La sensibilisation du public est un de ses axes majeurs du plan d’action Biodiversité. Cette solution que j’ai proposée, du fait qu’elle « ne garantit pas que des tirs de régulation ne soient pas nécessaire », a été écartée. Alors que la solution du tir, qui ne change rien aux problèmes posés, (cf ci-dessus), est retenue !

J’ai fait cette proposition de faciliter l’observation pour permettre à la population de se reconnecter avec la nature comme elle le souhaite mais avec un accompagnement adéquat tant pour le public que pour la faune.  Je ne comprends pas le refus d’entrée en matière pour au moins faire l’effort de la tester avant d’appuyer sur la gachette. Les raisons évoquées de coût et de difficultés ne prennent pas en considération la situation sur le terrain ni l’envie du public de rencontrer notre plus grand mammifère sauvage ici, chez nous. Pourtant tout s’y prête j’en ai fait l’analyse et l’ai soumise à l’Etat sans résultat.

Communication et émotion

Décrédibilisé, le Conseil d’Etat doit déjà se battre avec la question délicate des arbres car il a négligé le côté émotionnel. Faut-il lui ouvrir un nouveau front émotionnellement encore plus sensible avec l’abattage des cerfs ? Tout le monde a en tête la vidéo du cerf abattu au cimetière de Châtelaine le 19 février. Une fois l’émotion à son comble, il est impossible de faire entendre des arguments statistiques et d’essayer de redorer l’image des gardes de l’environnement. En politique, la crédibilité et la confiance se perdent en litres et se récupèrent goutte par goutte…

Alors que le Plan d’action Biodiversité vient d’être validé et lancé, abattre Bambi ou son père, l’emblème splendide de nos forêts et de la majesté sauvage, serait incompréhensible.

Abattre le cerf, c’est décrédibiliser tout le plan d’action en faveur de la biodiversité.

 

En conclusion, considérant que :

  • nous n’avons pas encore assez de recul sur les effets de la gestion forestière en futaie irrégulière en présence du cerf,
  • que les chiffres de la population résidente du cerf à Versoix (et ceux des dégâts qui lui sont imputables) ne sont pas connus avec précision,
  • que les méthodes et périodes de tirs n’ont pas été établies,
  • que tout l’aspect relatif à la découverte par le public de cet animal emblématique n’a pas été abordé,
  • que les mesures visant à réhabiliter les corridors biologiques n’ont pas été implémentées,
  • que le dégât d’image pour le politique et les gardes de l’environnement  n’a pas fait l’objet d’une évaluation,
  • que dans un canton sans chasse, la décision d’abattage d’une espèce doit être  la mesure ultime prise qu’après avoir épuisé toutes les autres solutions. 

il est prématuré d’autoriser le tir des cerfs à Genève en 2021.

Le 16 mars 2021, la commission consultative de la diversité biologique (CCDB) dont je suis membre en tant que représentante du WWF, a accepté les tirs de régulation de 10 cerfs par an (biches et faons inclus) de la forêt de Versoix et ce sans aucune condition préalable espérant toutefois des mesures d’accompagnement. Cela fait plus de 30 ans que je me bats pour la nature et je constate que l’arbitrage ne se fait jamais en faveur de la nature et que du moment qu’un préavis est positif, on oublie tout le reste. Dès lors et pour les motifs invoqués précédemment, je me désolidarise publiquement et complètement de la position de la CCDB et de son préavis.

Médias

23 mars 2021 la décision d’Antonio Hodgers : LES cerfs ne seront pas tirés

 

 

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