Mon interpellation au conseil d’Etat déposé le 25 février 2021
Dans la nuit du jeudi au vendredi 19 février 2021, un jeune cerf a été abattu par la police alors qu’il s’était égaré dans le cimetière de Châtelaine[1].
Cet animal était bien connu des habitants fréquentant les campagnes Cayla et Masset, derniers domaines non densifiés de cette partie de la Ville de Genève jouxtant la commune de Vernier. Dans ces anciens domaines riches en milieux naturels, tels que prairies et haies arborées, il est fréquent d’apercevoir de la faune sauvage car le site est relié aux bords du Rhône. Cette faune est précieuse et appréciée. Elle mérite que l’on s’en préoccupe tout particulièrement maintenant que le canton a non seulement adopté sa stratégie pour la biodiversité mais également le plan d’action qui en découle et qui doit être déployé dès cette année.
Le fait de voir le cerf, symbole par excellence de la biodiversité, apparaitre en ville devrait être considéré comme un succès de la politique menée en matière de biodiversité. Le tirer alors même que c’est l’année lors de laquelle le Conseil d’Etat engage son plan d’action pour la biodiversité est un non-sens total en matière de communication institutionnelle.
- En 2017, le cerf était décrété animal de l’année par Pro Natura, pourquoi ? C’est l’emblème de la nature à son état sauvage, car il souligne l’importance des corridors biologiques. Des corridors biologiques que nous nous sommes engagés à préserver mais qui, dans les faits sont de plus en plus entravés par la densification urbaine de part et d’autre de la frontière. Malgré les contrats corridors signés avec la France voisine, qu’a-t-on entrepris notamment pour les cerfs, au-delà de réaliser sur l’ATMB l’écopont au niveau de Viry ?
- N’est-ce pas la preuve qu’en réalité, nous sommes incapables de donner plus de place à la nature, et que la pesée des intérêts penche toujours en défaveur de la nature ?
Les faits tels que relatés pas les médias sur l’abattage du cerf dans le cimetière de Châtelaine soulèvent un certain nombre d’interrogations qui motivent le dépôt de cette question urgente :
- Abattre pour la première fois dans un canton sans chasse un cerf en milieu urbain, qui plus est, l’année au cours de laquelle le plan d’action pour la biodiversité doit être déployé, n’est-ce pas un message des plus contradictoires ?
- Ce jeune cerf a sans doute été effrayé par un ou des chiens, de plus en plus nombreux et de moins en moins bien maitrisés ou par les promeneurs peu respectueux empruntant le sentier longeant les berges du Rhône à cet endroit. Ce sentier est de plus en plus fréquenté alors que son caractère sauvage et les risques d’effondrement sont avérés. Qu’entend faire le canton pour aider la ville à sécuriser les lieux, les barrières et l’information actuelles n’étant à l’évidence pas suffisantes (question par ailleurs récurrente)[2]?
Suite au dérangement subi, pris de panique, le cerf s’est égaré et s’est retrouvé de l’autre côté de l’avenue d’Aïre dans le seul espace vert subsistant à cet endroit entre les immeubles, le cimetière. Ce choix lui fut hélas funeste.
- Aurait-il pu en être autrement ?
- Combien d’heures l’animal a-t-il été traqué par le tireur dans le cimetière ?
- Quand on ne sait pas /plus comment gérer, que cela devient trop complexe, on préfère la solution simple voire simpliste et on « élimine » le problème. Cette traque qui a duré, selon les médias, près de cinq heures, n’est-elle pas la raison pour laquelle l’animal « n’était plus en bonne forme physique » ?
- A quel niveau et quelle instance fut responsable des prises de décisions ?
- Quels étaient les « spécialistes sur place qui ont décidé d’abattre l’animal » ?
- Pourquoi n’a-t-on pas fait appel aux compétences présentes sur le canton en matière de pratiques d’anesthésie sur les ongulés sauvages alors même que ces compétences sont reconnues et que des cantons tels que Bâle ou Zurich y font appel ?
- Ce cerf était bien connu des habitants, qu’en était-il de l’information des gardes sur la faune en milieu urbain ?
- Qu’en est-il de leur formation au niveau des interventions sur la faune sauvage en milieu urbain ?
- Sachant que pour endormir les ongulés avec un tir de flèches sédatives, il est impossible d’y parvenir sans être à moins d’environ 20 mètres de l’animal et que compte tenu de la configuration des lieux, le tir était rendu d’autant plus difficile, pourquoi n’y a-t-il eu qu’une seule personne assignée à la tâche alors qu’il y avait un nombre impressionnant de forces de l’ordre présentes et qu’on aurait pu utiliser la méthode dite de panneautage pratiquée d’ordinaire pour les ongulés pour pouvoir l’approcher et l’endormir[3] ?
- Quand est-ce qu’un cerf a mis en danger la vie de quiconque davantage que la circulation automobile dans ce canton ? Les gardes-faune du canton des Grisons face à une harde de cerfs coincés sur la chaussée à Coire, les ont reconduit vers la forêt, n’hésitant pas à bloquer la circulation pour ce faire [4]. N’est-on plus capable dans notre canton d’envisager la nature ou tout autre sujet autrement que sous l’angle de la sécurité maximale qui, par définition, est impossible à atteindre ?
Abattre pour la première fois un cerf en milieu urbain dans un canton sans chasse, n’est-ce pas la preuve d’une incapacité totale de donner plus de place à la nature, alors même que l’Etat ne cesse de l’affirmer, en théorie…
A Nara, au Japon, les cerfs sont en liberté dans la ville. Les Japonais sont clairement passés de la perception à la perspective et ont fait de la présence de ces animaux un élément de communication et un atout touristique majeurs[5].
A Bâle, alors que les autorités pour des raisons de sécurité, étaient prêtes à abattre les chevreuils d’un cimetière à Hörnli, l’indignation soulevée par cette décision a été relayée par une pétition signée par plus de 80’000 personnes. Une table ronde organisée avec les milieux associatifs ayant soutenu la pétition a permis d’aboutir à un nouveau concept qui n’implique pas le tir des chevreuils[6].
- Avec cette apparition autant inattendue que bienvenue de la vie sauvage en milieu urbain à Genève, il est temps de questionner le rôle des gardes de l’environnement dans ce contexte. Ne devraient-ils pas devenir les interprètes de la nature en informant sur les bienfaits de la cohabitation plutôt que de rester aux yeux du citadin les rois de la gâchette ?
Le cerf, notre plus grand mammifère sauvage, est par excellence l’ambassadeur de la biodiversité à Genève, personne ne souhaite que celui abattu à Châtelaine devienne l’ambassadeur de l’incapacité de nos autorités à valoriser la nature et à la protéger.
Version pdf de l’interpellation QUE01477 requiem pour un cerf
Et la réponse QUE1477 requiem pour un cerf voir la réponse du Conseil d’Etat QUE1477A
Dans les médias:
- Tribune de Genève, la Une du 26 février 2021
- Le Matin Dimanche du 7 mars 2021
- GHI, l’éditorial de Gian Carlo Mariani du 23 février 2021
- Le Temps, interview de René Longet, 1er mars 2021
[1] https://www.tdg.ch/un-cerf-paie-de-sa-vie-un-egarement-au-cimetiere-692274623056
[2] https://www.tdg.ch/meme-interdit-le-sentier-des-falaises-est-pris-dassaut-329644376084
[3] http://www.espaces-naturels.info/techniques-pour-capturer-cervides-en-montagne-fins-scientifiques
[4] https://www.lenouvelliste.ch/articles/suisse/grisons-une-harde-d-une-quinzaine-de-cerfs-perturbe-la-circulation-pres-de-coire-812193
[5] https://japanization.org/nara-quand-les-cerfs-sauvent-lancienne-capitale-du-japon/
[6] https://www.lematin.ch/story/hoernli-les-chances-de-sauver-les-chevreuils-sont-bonnes-585722415175
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